C’est une cause de fatigue et de découragement récurrente chez nombre d’étudiants. Ils passent de longues heures en bibliothèque pour tenter de lire les ouvrages recommandés par leurs enseignants. Mais finissent par se perdre dans ces textes spécialisés souvent fort difficiles. Faut-il alors lire plus vite afin de pouvoir « manger » davantage de pages, comme des voitures de course qui avaleraient plus de kilomètres ?
POUR QUOI lisez-vous ? Voilà la question à vous poser 🧐 👍 !
Certes, les lecteurs rapides peuvent avoir un avantage. Mais la vitesse n’est pas la seule clé d’une lecture efficace. Pour que votre lecture soit fructueuse, il faut qu’elle cible directement les passages du texte ou du livre susceptibles de vous intéresser. Il faut donc, en amont, bien cerner votre objectif. POUR QUOI lisez-vous ? That is the question !
Il y a plusieurs façons de lire
De fait on ne lit pas de la même manière le magazine dont on feuillette nonchalamment les pages, et la fiche de révision qu’il faudra restituer au mot près. La BD dont on grapille quelques bulles savoureuses chez le libraire, et le roman que l’on dévore chez soi de la première à la dernière page.
Mais restons ici dans le domaine de la lecture étudiante ou professionnelle. De l’apprentissage d’un cours à la réalisation d’exercices en passant par la recherche documentaire, la lecture est sans cesse nécessaire. Or même dans ces tâches « sérieuses », il y a plusieurs façons de lire.
Selon l’objectif que l’apprenant fixe à sa lecture, nos yeux empruntent des chemins différents dans le champ serré des lignes et des mots.
Quand la tâche guide ce que les yeux vont lire
Un test oculométrique réalisé en 2021 au Laboratoire CeRCA1 de l’université de Poitiers sous la direction de Jean-François Rouet l’a bien montré.
Des lecteurs dits « experts », c’est-à-dire maîtrisant très bien la lecture, devaient lire un court texte à trois reprises avec à chaque fois une consigne différente.
(1) : Centre de recherche sur la cognition et l’apprentissage (CeRCA)
1 – La première consigne était de « Lire pour comprendre le texte ». L’enregistrement du mouvement de leurs yeux montre un parcours de lecture régulier et complet qui se pose sur toutes les informations utiles à la compréhension (cliquez pour agrandir).
2 – La deuxième consigne était de « Trouver le plus vite possible le poids de la fusée à vide ».
Cette fois, les lecteurs changent de stratégie. Leurs yeux balayent le texte pour se poser uniquement sur les mots pouvant contenir la réponse. Et de fait, les « cinq tonnes » de la troisième ligne sont les mots les plus lus. En revanche le poids du carburant est écarté car on leur demande celui de la fusée « à vide ». Ce sont bien des lecteurs experts qui ont lu correctement la consigne jusqu’au bout ! (cliquez pour agrandir).
Notez aussi combien cette lecture sélective est pertinente pour répondre « le plus vite possible », comme le demandait la consigne.
3 – La troisième consigne était de trouver : « A quelle époque se passe cette histoire ? »
Cette fois la lecture est complète mais irrégulière, car elle se fixe sur tous les mots pouvant constituer des indices. Il y a aussi des aller-retour, des relectures sélectives et multiples, et pour cause : la réponse n’est pas dans le texte ! Pour répondre, le lecteur est censé comparer ce qu’il lit avec ce qu’il peut savoir par ailleurs sur le premier satellite artificiel (!). Il doit faire des « inférences », c’est-à-dire convoquer ce qu’il sait déjà pour analyser ce qu’il lit, une compétence qui se développe bien sûr avec l’âge et le niveau d’étude.
A chaque objectif sa stratégie de lecture
Que montre cette expérience ? D’abord que l’on peut avoir des stratégies de lecture très différentes selon le but que l’on se fixe. Mais il y a plus : non seulement on le peut mais on le doit puisque c’est ce qu’ont fait ces lecteurs « experts » pour répondre vite et bien aux diverses consignes.
« Ces essais soulignent l’importance des objectifs et des buts de lecture dans la détermination de l’exploration oculaire d’un texte, commente Jean-François Rouet, qui dirige de multiples projets de recherche sur la lecture à l’université de Poitiers et au CNRS. A contrario, ils montrent qu’un élève qui ne sait pas pourquoi il lit peut difficilement mettre en place une stratégie optimale. »
Savez-vous pratiquer une lecture sélective ?
Ce manque de ciblage n’est-il pas, en effet, l’une des causes du manque d’efficacité de nombreux étudiants lorsqu’ils lisent ? Lorsque vous abordez un document, avez-vous bien en tête ce que vous y cherchez ? Une idée générale ou des informations précises ? Savez-vous pratiquer une lecture sélective, utiliser le sommaire, rechercher un terme dans l’index, lire rapidement les titres ou les petits résumés de fin de chapitre qui peuvent vous faire gagner un temps précieux ?
Si vous n’êtes pas encore « expert », sachez que cette pratique de la lecture « fonctionnelle » (c’est-à-dire orientée vers un but précis) peut être entraînée et améliorée.
Quelques conseils méthodos ✍🛠
Concrètement, comment faire ? Reprenons les 4 étapes déjà préconisées dans notre module sur le travail personnel dans le parcours en ligne pour « apprendre à apprendre ».
- Etape 1 : Fixez votre attention sur la tâche précise à accomplir
Que cherchez-vous exactement dans le texte que vous allez lire ? Une information précise ? de quelle nature ? un poids ou une longueur ? une quantité ou une durée ? une série d’arguments ? une cause ou une conséquence ? une explication ? Vous tenez votre objectif ? Dans tous les cas, tâchez d’avoir toujours un but précis avant de lire. Si vous ne comprenez pas bien la consigne, demandez des précisions, recherchez la signification des mots ou essayez de reformuler la questions vous-même. - Etape 2 : Imaginez-vous en train de lire et de trouver votre réponse
Cette étape peut être très courte mais très utile. Il s’agit de prendre quelques petites secondes pour réfléchir et « voir » mentalement ce que vous espérez trouver. Imaginez-vous par exemple en train de lire votre texte et d’y trouver les figures de style ou les noms que l’on vous demande de chercher. Vous êtes en train de fixer votre « stratégie de lecture ». Cette mini-préparation mentale est identique à ce que font les sportifs avant une compétition quand ils simulent précisément leurs mouvements à l’avance. Vous êtes ainsi parfaitement concentré sur la tâche que vous devez accomplir. - Etape 3 : Lisez en suivant votre stratégie de lecture !
Go ! Vos yeux n’ont plus qu’à faire ce que vous avez imaginé. Ils vont ainsi directement sur les parties du texte intéressantes pour votre tâche.
Si vous devez sélectionner des informations précises, lisez « crayon à la main », et n’hésitez pas à surligner, souligner, ou à noter le fruit de votre recherche. Si vous lisez des documents en ligne, faites de même avec une appli de notes. En effet notre mémoire de travail ne peut garder trop d’éléments à la fois. Et noter tout de suite évite d’avoir à relire, ce qui serait une perte de temps et d’énergie. - Etape 4 : Faites une pause !
Cette activité de lecture fonctionnelle est gourmande en ressources cognitives. Rester concentré sur sa tâche et sa lecture provoque à la longue une certaine tension. Cette fatigue vous ralentit et vous rend moins efficace dans la sélection et la compréhension des points à lire. C’est pourquoi il ne faut pas hésiter à faire de courtes pauses, surtout si les textes sur lesquels vous travaillez sont longs. L’idéal est alors de porter son regard au loin et de ne plus lire, donc d’éviter de plonger sur l’écran de son téléphone !
👉 Lire aussi : Passer par l’oral pour mieux comprendre l’écrit et pour mieux lire
Qu’est-ce qu’un bon lecteur ?
Vous voyez que l’on peut réellement s’entraîner à mieux lire en adaptant mieux sa lecture à sa tâche. C’est peut-être d’ailleurs là un des critères les plus déterminants pour devenir un bon lecteur. Pouvoir utiliser la lecture en toutes circonstances, sans fatigue excessive, pour analyser finement les nombreux documents à notre disposition est une clé pour progresser en compréhension et en réflexion. Des compétences qui seront de plus en plus précieuses dans un monde qui souffre d’infobésité.
Pour en savoir plus :
- « Literacy beyond text comprehension: A theory of purposeful reading » A. Britt, J.-F. Rouet, A. Durik, (2018). Taylor & Francis.
- Centre de recherche sur la Cognition et l’apprentissage
