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Raisonnement : pourquoi les automatismes peuvent nous induire en erreur

Notre cerveau a mémorisé un grand nombre de règles et d'automatismes qui aident à raisonner très vite... mais peuvent nous induire en erreur. Pour éviter ces pièges, il faut résister à ces automatismes et activer notre contrôle inhibiteur.
In cerveau est entouré de multiples engrenages évoquant les automatismes de pensée. Cependant, une ampoule rayée de rouge suggère que ces automatismes ne sont pas toujours éclairants.

On compare souvent le cerveau à une fantastique tour de contrôle qui coordonnerait un incessant tourbillon de sensations, de gestes, d’idées et de pensées. Mais alors, comment expliquer les pannes d’attention, les oublis, et en particulier les erreurs de raisonnement ?

Vous avez sans doute déjà fait ce test où l’on vous demande de dire la couleur des mots suivants :

Vous vous trompez ? Vous devez vous y reprendre à plusieurs fois ? Normal. S’il est très difficile de dire les couleurs de ces mots, c’est que notre cerveau est ici confronté à un conflit. Trouver les couleurs de chaque mot devrait être simple. Mais nos yeux ne peuvent s’empêcher de lire les mots. Et le cerveau de les reconnaître. Car l’automatisme de la lecture s’enclenche 🔄 et il y a conflit entre la couleur que l’on voit et le mot que l’on lit 😝.

L’effet Stroop : quand le cerveau doit inhiber une tâche pour en faire une autre

Cette expérience a été analysée pour la première fois en 1935 par l’Américain John Ridley Stroop. Depuis, « l’effet Stroop » désigne les situations où le cerveau est en conflit entre une consigne et un automatisme.

En effet, pour obéir à la consigne sur les couleurs, il faut faire effort pour inhiber la lecture des mots. Serait-ce une faiblesse du cerveau ? Non. Cela met au contraire en évidence une de ses fonctions supérieures : la capacité d’inhibition. Avec l’attention, la mémoire de travail et la planification des tâches, le système inhibiteur est central pour nous permettre de raisonner correctement dans des situations variées.

Il va en effet permettre de résister aux automatismes de raisonnement ou de pensée qui nous viennent spontanément à l’esprit, mais ne sont pas forcément adaptés à la situation.

Des automatismes pourtant très utiles

Schéma humoristique : assis à son bureau, un personnage à plusieurs bras alterne lecture, écriture, repas, travail sur ordinateur.

Ces automatismes (ou « heuristiques ») sont le fruit des apprentissages, scolaires ou non scolaires, que le cerveau mémorise au fil de la vie pour nous permettre d’agir vite ou de résoudre des problèmes simples. Lecture, écriture, opérations arithmétiques, règles d’orthographe, connaissance des tables de multiplication ou de l’utilisation d’un logiciel…

Au départ, l’apprentissage de ces compétences nécessite du temps et de l’énergie cognitive. Dans le cerveau, cela mobilise les réseaux de neurones des fonctions supérieures, dans le cortex préfrontal (derrière le front). N’aviez-vous pas mal à la tête lorsque vous appreniez, pour la première fois, vos tables de multiplication ?

Puis ces apprentissages se sont consolidés à force de répétitions. Vous les avez mémorisés et vous êtes parvenu à les utiliser sans effort au moment nécessaire.

Quand l’automatisme conduit à l’erreur

un collégien stressé se tient la tête dans ses deux mains face à son devoir

Mais ces habiletés routinières peuvent aussi nous induire en erreur. Exemple : vous faites chaque matin le même trajet pour vous rendre sur votre lieu d’études ou de travail. Plus besoin de regarder le nom des rues ou des stations. Vous êtes en mode « pilote automatique ». C’est ainsi qu’un samedi matin, vos pas empruntent le trajet quotidien… alors que vous auriez dû partir en sens inverse ! L’esprit perdu dans vos pensées, vous avez oublié que vous partiez en week-end et non en cours 😄 !

Cette erreur courante de comportement vient d’un déficit d’inhibition. Avec un peu plus d’attention, votre cerveau aurait pu inhiber le programme « départ pour l’école » et le remplacer par le « départ en week-end ».

Système inhibiteur : les découvertes des neuroscientifiques

Dans le domaine des apprentissages, le même déficit d’inhibition peut aussi nous conduire à l’erreur. En particulier lorsqu’il faut mener un raisonnement qui nécessite d’appliquer des règles – d’orthographe, de calcul – ou des modèles. Dans ce cas, l’automatisme cognitif conduit souvent à appliquer la règle habituelle… alors qu’elle n’est pas adaptée à la situation, au contexte, aux hypothèses du problème.

A l’université Paris Cité, des chercheurs du Laboratoire de Psychologie de Développement de l’enfant (LabPsyDé) étudient depuis des années ces mécanismes d’inhibition. Sous la direction des neuroscientifiques Olivier Houdé et Grégoire Borst, leurs travaux ont montré que :

  • Le cerveau peut fonctionner selon trois systèmes de pensée : Le système 1 dit « heuristique » qui utilise des automatismes ; le système 2 dit « algorithmique » qui utilise la réflexion et la logique ; et le système 3 dit « inhibiteur » qui permet de résister au système 1 et d’enclencher la réflexion avec le système 2.
  • Ces trois modes de pensée activent des réseaux de neurones situés dans des régions différentes du cerveau, comme le montre l’imagerie médicale. Le système heuristique, rapide et économique en ressources cognitives, active des régions situées à l’arrière du cerveau. Tandis que le mode inhibiteur et le système algorithmique mobilisent des réseaux situés dans le cortex préfrontal, très gourmand en ressources.
  • De nombreuses erreurs de raisonnement proviennent bien d’un déficit du système inhibiteur. Face à un problème, la pensée enclenche l’automatisme trompeur (système 1) qui donne une solution rapide mais fausse. Alors qu’il aurait fallu bloquer l’automatisme grâce au système inhibiteur et passer en mode réfléchi (système 2).

Un problème-piège de primaire

un tableau noir scolaire et une craie évoquent l'école

Les chercheurs cités plus haut ont identifié un certain nombre de problèmes dans lesquels la pensée automatique conduit fréquemment l’élève à l’erreur.

Exemple : « Une paire de baskets et un jean valent 240 euros. Les baskets valent 200 euros de plus que le jean. Combien coûte le jean ? Répondez le plus rapidement possible« .

Facile, n’est-ce pas 😏 ? Spontanément, vous pensez que le jean vaut 40 euros. Et vous tombez dans le piège 😕 !! Emporté par votre automatisme, vous avez lu « 200 euros de plus » comme si les baskets valaient 200 euros et vous avez fait une simple soustraction (240 – 200 = 40 euros).

Alors qu’il aurait fallu inhiber ce raisonnement trop rapide, et passer au mode algorithmique réfléchi pour mieux lire et poser l’énoncé. Vous auriez alors pu faire un diagramme en barres, comme on le fait dans la méthode de Singapour. Ou poser le problème avec des variables toutes simples :
si x est le prix des baskets, y le prix du jean, on sait que :
x + y = 240 euros
x = y + 200
on peut donc écrire que : y+200 + y= 240
2y + 200 = 240, donc 2y = 240-200 = 40 et y = 40/2 = 20 euros.

S’entraîner à résister, c’est possible

Ces erreurs sont si fréquentes que les chercheurs du LabPsyDé poursuivent leurs travaux en collaboration avec des enseignants pour identifier, à chaque niveau, les principaux automatismes susceptibles de constituer un piège. Et leur permettre d’enseigner comment mieux utiliser le système inhibiteur. Car la bonne nouvelle est que l’on peut résister aux automatismes. Encore mieux : « Nous avons mis en évidence que l’on peut entrainer le système inhibiteur à résister », explique Grégoire Borst, directeur du LabPsyDé.

Pour en savoir plus sur l’aspect scientifique :
www.lapsyde.com/le-laboratoire

Mais alors comment ? C’est LA question que vous vous posez bien sûr à la fin de cet article. Pour l’enseignant, on arrive là sur le terrain de la pédagogie. Et pour l’élève, sur celui de la méthodologie et des stratégie d’apprentissage à mettre en place pour éviter nombre d’erreurs de raisonnement. Je vous propose donc d’approfondir cela dans un prochain article de méthodologie.



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Michèle Longour

Michèle Longour

Journaliste Education & Apprentissage, auteur et fondatrice du projet Méthodo Campus.

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