Puisque l’été est là, un grand nombre d’entre vous vont pratiquer leurs langues étrangères, que ce soit en France avec des amis de passage ou des touristes, mais aussi lors d’un voyage ou, encore mieux, lors d’un séjour linguistique.
Et je suis sûre que vous serez aussi nombreux à regretter, peut-être, votre manque de vocabulaire, la maladresse de votre accent, et plus globalement le manque de fluidité de vos propos. Mais alors, comment faire ? Travailler davantage ? Certes. Faire des séjours plus longs ? Bonne idée mais pas toujours simple à réaliser. Vous abonnez à la méthode-miracle que votre cousin vous a vantée ?
Avant de choisir vos outils, commençons par comprendre comment votre cerveau apprend les langues « étrangères », c’est-à-dire celles qui sont différentes de votre langue maternelle.
Comment mémorise-t-on les langues ?
L’apprentissage d’une langue mobilise en réalité deux systèmes de mémoire bien distincts : la mémoire déclarative et la mémoire procédurale.
La mémoire déclarative est celle que l’on utilise lorsque l’on apprend de façon volontaire et consciente des mots, des règles de grammaire et de conjugaison. Par exemple les verbes irréguliers en anglais. Que ce soit en apprenant un cours, une liste de mots, en faisant un quiz ou un exercice à trous, peu importe : vous faites un effort conscient pour vous « mettre en tête » les éléments de la langue. Pour ancrer dans le long terme les connaissances apprises, il faut les revoir plusieurs fois en s’exerçant à les retrouver. Le souvenir est ainsi réactivé, et la trace mnésique laissée dans le cerveau se consolide. Les temps de sommeil contribuent aussi à cette mémorisation ainsi que le fait de revoir le mot dans des contextes variés. Vous pouvez alors espacer de plus en plus les révisions, car ce mot ou cette expression vous devient familier. Et vous pouvez commencer à en apprendre d’autres.
A l’échelle de la vie, cette capacité à retenir ainsi des mots et des bribes de langage est encore faible chez l’enfant, puis elle se développe beaucoup à l’adolescence et atteint sa maturité à l’âge adulte, avant de faiblir dans la vieillesse.
Pourquoi cherche-t-on ses mots ?
Mais suffit-elle à faire de vous une personne qui sait communiquer dans cette langue comme un natif en la parlant couramment ? Pas forcément hélas. Il vous est tous arrivé – lorsqu’il faut soudainement utiliser la langue – de ne pas retrouver les mots et les expressions adéquats, ou de devoir produire un tel effort mental pour formuler vos phrases, que vous avez vite mal à la tête…
Pour acquérir la fluidité automatique d’un natif ou d’une personne bilingue, il faut en effet mobiliser l’autre pilier de l’apprentissage des langues : la mémoire procédurale.
Quand la mémoire des savoir-faire entre en scène
C’est le mécanisme qui permet de retenir les savoir-faire, notamment dans le domaine de la motricité. Quand vous apprenez à faire du vélo, à nager, à faire du ski, à servir au tennis, à battre une omelette, à conduire une voiture ou à écrire sur un clavier, c’est grâce la mémoire procédurale qui engrange les centaines de mouvements et de sensations associées à chaque savoir-faire. Pas besoin de lire un livre, c’est en faisant, et en répétant le geste plusieurs fois qu’on apprend.
La mémoire procédurale va vous permettre de parler la langue de façon naturelle, comme par intuition, en vous donnant le bon mot au bon moment
Mais la mémoire procédurale entre aussi en action dans le domaine des apprentissages intellectuels et notamment des langues. Elle retient en effet très bien les raisonnements, les règles et surtout la façon de les appliquer, Elle repère les bonnes formes syntaxiques, les expressions idiomatiques. Bref, la mémoire procédurale va vous permettre de parler la langue de façon naturelle et correcte, comme par intuition, en vous donnant le bon mot au bon moment. Génial, non ?
Comment nourrir la mémoire procédurale ?
Alors comment alimenter cette mémoire procédurale ? De même que c’est en pédalant qu’on apprend à faire du vélo, c’est en écoutant, et surtout en parlant et en dialoguant avec des locuteurs natifs que vous allez peu à peu vous imprégner de la langue. La répétition va aussi ancrer en vous ces usages linguistiques, au point que vous pourrez les retrouver quand il le faudra sans effort.
A l’échelle de la vie, la mémoire procédurale est excellente durant l’enfance, raison pour laquelle l’enfant apprend facilement les langues qu’il entend parler autour de lui. Elle a ensuite tendance à faiblir, mais reste disponible si on l’entretient.
Les neuroscientifiques ont bien sûr cherché à cerner le fonctionnement de ces deux mémoires et ils ont repéré qu’elles activaient des zones différentes du cerveau : la mémoire déclarative passe notamment par l’hippocampe et le néocortex, la mémoire procédurale plutôt par le cervelet et les ganglions de la base.
Faut-il abandonner l’apprentissage scolaire des langues ?
Mais les recherches montrent surtout que les deux types de mémoire sont liés et très complémentaires pour apprendre à parler couramment une langue. Sans la mémoire procédurale, vous n’aurez pas l’aisance qui permet de parler de façon fluide et grammaticalement correcte, mais si vous n’avez pas les mots de vocabulaire en tête – parce que vous ne les avez pas appris, vous ne pourrez pas non plus parler correctement.
Il est donc inutile d’opposer l’apprentissage scolaire de la langue et sa pratique. Le chercheur américain Michael T. Ullman spécialiste de l’apprentissage des langues parle même du modèle Déclaratif / Procédural.
Malgré tout l’existence de la mémoire procédurale est une très bonne nouvelle pour ceux qui veulent profiter des vacances pour délaisser leurs livres et leurs notes : en vous plongeant dans un univers linguistique au quotidien et en parlant sans complexe, vous acquérez des réflexes et une pratique inestimables… qui vous motivent souvent à rechercher ensuite certains mots.
Entrelacez le déclaratif et le procédural
On peut d’ailleurs mêler mémoire déclarative et mémoire procédurale, par exemple en regardant des séries dans une langue étrangère (procédural) mais en utilisant aussi une application qui donne des précisions sur des mots inconnus (déclaratif). Cependant la puissance de la mémoire procédurale est telle, qu’elle permet d’intégrer des tournures grammaticales et des expressions idiomatiques sans que vous fassiez aucun effort conscient d’apprentissage… juste en vous exposant intensivement à la parole des natifs, en vous plongeant dans le grand bain de cette langue que vous croyez ne pas bien comprendre…
Alors pas de panique si vos premiers jours dans ce pays étranger vous mettent à la torture. Vous avez l’impression de ne rien comprendre ? Ne vous découragez pas et ne perdez pas confiance car si vous ne parvenez pas à extraire de votre mémoire déclarative la signification de tous ces mots, votre mémoire procédurale, elle, est déjà à l’oeuvre. Pour lui permettre de fonctionner, ne vous tendez pas, ne vous fermez pas, ne vous repliez pas en craignant de faire des fautes mais foncez, ouvrez la bouche, lancez-vous et profitez au contraire de toutes les occasions de parler… Plus les jours vont passer et plus vous allez intégrer la « gymnastique » et la musique de la langue. Et dans ce lâcher prise – si vous restez assez longtemps – vous allez même commencer à penser dans la langue « étrangère ». Puis quand la mémoire procédurale aura bien fait son oeuvre, quand vous rentrerez chez vous, il sera alors temps de reprendre l’apprentissage classique, et de faire travailler la mémoire déclarative.
Testez la puissance des automatismes
Je terminerai par un souvenir qui remonte… à ma classe de cinquième. Notre professeur d’anglais nous avait proposé d’apprendre par coeur une liste d’une vingtaine d’expressions idiomatiques ou de tournures grammaticales. Du type « I have been learning English for four years » (j’apprends l’anglais depuis 4 ans). Il s’agissait seulement d’apprendre par coeur, et de répéter et répéter ces mini-phrases au début de chaque cours. Il n’était pas question d’expliquer la construction grammaticale de ces phrases (en mode déclaratif) mais seulement de les automatiser (procédural).
Eh bien pas mal d’années ont passé, et j’ai toujours gardé en mémoire ces expressions que j’ai pu ressortir à bon escient de façon naturelle. Cela vous donne une toute petite idée de la puissance des automatismes que nous pouvons mémoriser.. et qui peuvent nous aider dans bien d’autres domaines que les langues, par exemple pour améliorer l’orthographe, acquérir la maitrise d’un jeu vidéo, d’un logiciel, ou pour résoudre certains problèmes de maths. Je vous en parlerai dans d’autres posts consacrés à la mémoire procédurale.