Ah, l’orthographe ! Cela renvoie souvent à des souvenirs d’enfance ou d’école, bons ou mauvais selon les cas. En tout cas le sujet ne laisse personne indifférent si l’on en croit l’engouement pour les concours de dictée ou les jeux de vocabulaire.
Car la maîtrise de l’orthographe fait partie des compétences transversales qui restent utiles et même indispensables toute la vie. Alors, que vous souhaitiez éliminer vos plus « grosses » fautes, ou vous perfectionner pour atteindre la « Très bonne orthographe » que vous pourrez indiquer (voire certifier) sur votre CV, une question se pose : comment progresser en orthographe quand on ne l’étudie plus dans un cadre scolaire — ce qui arrive finalement assez vite dès la fin du collège ?
C’est justement ce que j’ai demandé en juin dernier à des participants de la grande dictée organisée à Paris sur les Champs-Elysées. « Il faut revoir les règles », m’ont répondu certains. « Reprendre son Bled », « Faire des dictées », ou bien « Lire, simplement lire », ont catégoriquement affirmé d’autres.
Travailler l’orthographe en tenant compte de sa mémoire
Alors, qui a raison ? Je vais apporter ici des éléments de réponse basés sur le fonctionnement de notre mémoire. Nous avons vu dans le post précédent que pour apprendre à parler couramment les langues étrangères il fallait activer deux réseaux de mémorisation : la mémoire déclarative qui se construit grâce à l’apprentissage scolaire volontaire et conscient, et la mémoire procédurale qui permet d’intégrer la langue dans ses subtilités grammaticales et ses expressions particulières sans aucun effort d’apprentissage conscient mais par une pratique linguistique intensive.
Or pour parvenir à une véritable maîtrise orthographique et écrire de façon naturelle et rapide sans faute ni hésitation, il va falloir à nouveau mobiliser la mémoire déclarative – par un apprentissage systématique des règles – et la mémoire procédurale qui va permettre d’intégrer de façon inconsciente les particularités orthographiques de certains mots et d’automatiser l’application des règles.
Mémoire déclarative pour apprendre les règles
Première étape donc, la révision de toutes les règles. Pour améliorer voire rectifier votre orthographe, il faut en effet commencer par revoir ou apprendre les règles orthographiques de base, les retenir et savoir les appliquer.
Pour parvenir à cet objectif final, pas de secret : il suffit d’appliquer toutes les stratégies d’apprentissage validées et recommandées par les neuro-scientifiques :
– apprendre ou revoir une règle en utilisant tous les moyens mnémotechniques à votre disposition (par coeur, rime, chanson, petite phrase comme « le chapeau de la cime est tombé dans l’abîme, etc.)
– tester sa mémorisation et sa compréhension tout de suite, sans regarder son livre ou son fichier, et de préférence en faisant des exercices d’application (quiz, mot manquant, etc.)
– enfin réactiver c’est-à-dire revenir à nouveau sur cette règle quelques jours plus tard et à intervalles réguliers jusqu’à ce que la règle soit définitivement acquise.
Des outils numériques qui facilitent l’apprentissage déclaratif
La grande chance est que nous avons aujourd’hui des outils de formation en ligne qui enregistrent nos réponses (bonnes ou mauvaises) et re-programment grâce à l’adaptive learning les exercices correspondant à nos lacunes véritables. Cela permet de travailler efficacement en ciblant les règles que nous n’arrivons pas à appliquer, et en évitant de rabâcher inutilement celles que nous maitrisons bien. En plus ces logiciels vous donnent des courbes de progression, ce qui stimule la motivation. Et vous pouvez souvent obtenir à la fin une certification – comme celle du Projet Voltaire, ou du programme Frantastique Orthographe de Gymglish.
Voilà un chantier qui peut être aisément mis en oeuvre durant les vacances par exemple. Avantages : les résultats sont garantis si vous êtes assidu(e), et ces programmes reposent en général sur des exercices ludiques accessibles sur vos écrans favoris.
J’ajouterai que revoir des règles que l’on a « plus ou moins en tête » mais que l’on a souvent à moitié oubliées est nettement plus simple et rapide que lorsque nous les apprenons à l’école pour la première fois. C’est un peu comme si vous n’aviez qu’à enfoncer à nouveau un clou déjà planté dans un mur mais légèrement descellé. Dès que vous revoyez la règle, elle s’imprime clairement et fortement en vous car vous avez en réalité déjà une pratique de la langue.
Mémoire procédurale pour automatiser l’application des règles
Cette pratique de la langue fait justement le lien avec le deuxième type de mémoire qu’il va falloir utiliser : la mémoire procédurale est celle qui permet d’apprendre et de retenir longtemps des « savoir-faire », que ce soit dans le domaine des mouvements du corps mais aussi de l’esprit. Prenons l’exemple d’une recette de cuisine : vous la retenez d’autant mieux que vous l’avez réalisée une, deux, trois ou un grand nombre de fois. A force de la faire, vous connaissez parfaitement les ingrédients à avoir, les quantités, les temps de cuisson et surtout les gestes à enchaîner dans un ordre précis. Et tout cela sans regarder votre livre de cuisine ou votre tutoriel vidéo.
Cette « mise en mémoire » des gestes et de toute la réalisation de la recette s’est faite de façon presque inconsciente, en tout cas sans que vous cherchiez à l’apprendre comme on apprend une leçon : c’est typiquement là l’oeuvre de la mémoire procédurale, cette capacité que nous avons de retenir, presque à notre insu, la manière de réaliser certains mouvements, d’enchaîner des gestes ou des actions, de résoudre certains problèmes et… d’appliquer les règles d’orthographe.
La lecture pour intérioriser l’orthographe
Mais alors, comment activer cette mémoire procédurale pour améliorer son orthographe ? Pour parler les langues étrangères avec aisance, nous avons vu qu’il faut les pratiquer intensivement en les parlant avec des natifs. Pour appliquer de façon de plus en plus naturelle et automatique les règles d’orthographe, la pratique de la lecture – mentionnée par des participants de la grande dictée des Champs – a très certainement un rôle à jouer.
Lorsque nous lisons, nos yeux balayent un très grand nombre de mots qui sont aussitôt traités par le cerveau en terme de compréhension mais aussi d’organisation. La façon dont les mots s’accordent, dont les verbes sont conjugués, l’orthographe des mots courants – comme « malgré », « parmi », « événement », « courir » – ou la syntaxe grammaticale, tout cela nous est servi en abondance, dans un désordre qui rompt avec la discipline scolaire où l’on voit une règle après l’autre, mais dans un foisonnement qui crée sans doute des connexions cérébrales nouvelles favorisant l’intégration des règles de la langue.
Plus la lecture est abondante, régulière, diversifiée par ses contenus, et plus la mémoire procédurale est « nourrie »
Plus la lecture est abondante, régulière, diversifiée par ses contenus, et plus la mémoire procédurale est « nourrie » de mots, de verbes conjugués, d’exceptions orthographiques, de situations grammaticales et syntaxiques différentes. Ce méli-mélo finit par donner sens à la grammaire – on « sent » qu’un verbe n’est pas un nom ou un pronom – et rend les particularités orthographiques plus familières.
En lisant beaucoup, on habitue par exemple le cerveau à comprendre en quelques dixièmes de secondes, que le « on » – pronom personnel – n’a rien à voir avec le « ont » du verbe avoir. Et l’on acquiert ainsi quelques automatismes orthographiques qui vont permettre d’éviter de faire de nombreuses fautes courantes ou de s’interroger à chaque mot.
Déclaratif / Procédural : toujours marcher sur ces 2 jambes
Il est vrai cependant que cet effet lecture est plus ou moins marqué chez les uns ou les autres. Certaines gros lecteurs disent garder de grosses difficultés orthographiques, tandis que d’autres se targuent d’avoir presque « l’orthographe naturelle ». La façon dont les mots s’impriment dans le cerveau semble bien différente d’un individu à l’autre, et les personnes atteintes de dyslexie en savent quelque chose.
Mais n’oublions pas que le cerveau utilise les deux types de mémoire : dans tous les cas, l’aisance orthographique est le fruit à la fois d’un apprentissage – ou d’un approfondissement – volontaire des règles orthographiques, et d’une pratique régulière de la langue écrite, notamment à travers la lecture.
La notion d’orthographe « naturelle » est d’ailleurs trompeuse : les personnes qui ont l’impression d’avoir ce talent ont en réalité toujours commencé par apprendre les règles de grammaire, d’orthographe et de conjugaison. Mais elles les ont intégrées plus facilement que d’autres, au point d’avoir acquis certains réflexes orthographiques. Par exemple elles n’oublient jamais d’indiquer la marque du pluriel ou d’accorder l’adjectif avec le nom ( Ex. : « drapeau national », « fête nationale »). Chez ces personnes, mémoire déclarative et mémoire procédurale sont en réalité parfaitement bien coordonnées, ce qui tend à masquer le rôle de l’apprentissage conscient et volontaire.
Ne pas oublier le rôle de l’écriture
Je vous ai parlé du rôle de la lecture pour automatiser l’application des règles orthographiques. Mais la mémoire procédurale est aussi renforcée par la pratique de l’écriture. L’orthographe est en effet le propre de la langue écrite. Alors pour mémoriser la façon dont les mots s’écrivent, rien de tel… que de les écrire. Cela peut paraître évident, mais il ne suffit pas toujours de lire un mot pour savoir ensuite l’écrire correctement.
Nous en avons tous fait l’expérience lors d’une dictée : on nous dicte un mot courant que nous avons lu mille fois, et pourtant nous hésitons. Le verbe « apercevoir » prend-il un ou deux « p » ? Pour trouver la réponse, n’avez-vous pas besoin de griffonner les deux orthographes possibles pour « sentir » la bonne (un seul p) ? C’est le signe que si la règle peut être retenue mentalement, si la lecture peut l’ancrer en nous, l’écriture est le lieu ultime de sa bonne application.
Pour « automatiser » l’orthographe, il faut donc écrire le plus souvent possible et ne pas se contenter de « copier-coller » des textes ou des bouts de paragraphes écrits par d’autres. A la main ou au clavier, peu importe. Mais le fait de combiner soi-même les lettres, les syllabes et les mots aide à intégrer l’orthographe de chaque terme. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que l’on apprend à lire et à écrire en même temps.
En résumé, pour aller vers le « zéro faute » et maîtriser avec aisance l’orthographe de la langue, il faut combiner sans cesse l’apprentissage (ou la révision) volontaire des règles, et la pratique de la langue écrite par l’écriture et la lecture régulières.
Mais ce n’est pas encore suffisant. Si vous voulez réellement atteindre l’orthographe parfaite dans un texte, il faut encore ajouter une action essentielle qui viendra valider tous les acquis de la mémoire déclarative et corriger l’imperfection de la mémoire procédurale. Je vous propose de vous en parler dans le prochain article. A suivre donc.